Nécrologie : Rachid Mekhloufi, un grand footballeur et un symbole
9 novembre 2024 à 11h30 par Nicolas Georgeault
L’ancien attaquant de l’AS Saint-Etienne s’est éteint ce vendredi 8 novembre, à l’âge de 88 ans.
Ce vendredi, Rachid Mekhloudi s'est éteint. Grand footballeur de l'ASSE, il est aussi un symbole de l'indépendance algérienne. Retour sur la vie de l'homme aux 150 buts en Vert et qui a porté le maillot de la France... et de l'Algérie.
Une enfance en Algérie
Le 8 mai 1945, la France célèbre l’armistice, la Seconde Guerre Mondiale est finie. Mais les villes de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie alors encore française sont secouées par des manifestations indépendantistes. Elles sont violemment réprimées par la police française. Plusieurs milliers de personnes meurent. Rachid Mekhloufi, natif de Sétif assiste à ce massacre alors qu’il a seulement 9 ans « c’était quelque chose de terrible » résumera-t-il bien plus tard. Il gardera un souvenir vif de ces émeutes.
Jeune son père, policier le pousse à travailler à l’école mais Mekhloufi « délaisse l’école pour aller jouer (au football) dans les quartiers, dans les allées, etc. » confie-t-il au site spécialisé Poteaux Carrés. Il porte le maillot le l’USM Sétif à l’époque et son talent va rapidement être détecté.
Un premier passage à Saint-Etienne
A 18 ans, Rachid Mekhloufi est recruté par l’AS Saint-Etienne par l’intermédiaire de Jean Snella, un homme qu’il qualifie de « merveilleux » et qui facilite grandement son intégration au club et à la ville. Il est l’un des meilleurs joueurs de sa génération et en 1957, il est champion de France, son premier trophée (à l’exception de la Coupe Charles Drago). Toujours à la recherche du but, il contribue largement à ce sacre grâce notamment à ses 25 réalisations au cours de la saison.
Ses bonnes performances lui valent ses premières sélections en Equipe de France. Il revêt le maillot bleu quatre fois au total. La question de l’indépendance ne pose pas encore, il est évident qu’il est Français et considéré comme tel.
Un destin algérien
Ce 14 avril 1958 Rachid Mekhloufi est caché dans une voiture, il est emmené loin de Saint-Etienne. Derrière cette évasion rocambolesque se cache un projet plus politique que sportif : l’équipe du FLN. En Algérie, le parti politique lutte depuis quatre ans pour se libérer du joug colonial français. L’idée germe de créer une équipe de football afin de représenter l’Algérie comme un pays et non comme une colonie française.
La tête pensante du projet Mohamed Boumezrag rencontre individuellement les meilleurs joueurs algériens des années 1950 pour donner du poids à cette sélection. Il recrute des grands noms comme le défenseur monégasque Zinouti et le joyau de l’AS Saint-Etienne, Mekhloufi qui dira bien plus tard « ne pas avoir hésité avant de rejoindre l’équipe du FLN algérien. »
La veille d’un match de championnat de France contre Béziers, deux footballeurs originaires de Sétif, comme Mekhloufi, lui annonce « Rachid, demain on part en Tunisie. » Les joueurs fuient la France, ils sont une trentaine à prendre part à l’aventure.
Face à ces départs illégaux, la France fait pression sur la FIFA. L’organisme international ne reconnait pas l’équipe indépendantiste et menace de sanctions ceux qui les affronteront. Une sommation qui n’empêche pas le Maroc de jouer contre leur voisin frontalier à la fin de l’année 1958. Le coup d’envoi d’une épopée qui leur fera faire le tour du monde.
Au total, il dispute plus de 80 matchs, principalement contre des pays anti-occidentaux. Ils affrontent l’Irak, le Vietnam ou encore l’URSS. Si l’intérêt sportif est minime pour Mekhloufi : « Pendant quatre ans, j'ai disputé des matchs trop faciles et des entraînements sans rigueur », ces quatre années lui permettent de devenir « un homme responsable qui comprend les choses, qui n’était pas que footballeur » confie-t-il dans une interview accordée à SoFoot en 2016.
Si l’enjeu sportif est faible, l’Algérie décroche l’indépendance en 1962. Mekhloufi ne portera plus jamais le maillot des bleus, il est définitivement algérien : « à partir du moment où je suis parti en 58, j’ai cassé "l’accord" que la France avait établi disant que les Algériens étaient français. Ma nationalité française s’est arrêtée en 1958 » raconte-t-il dans la même interview.
Le retour en France
Un an après l’indépendance de l’Algérie, la FFF (Fédération Française de Football) lève les sanctions contre les joueurs exilés. Rachid Mekhloufi peut à nouveau jouer dans un club français. Il fait son retour dans le Forez en 1963 après un court passage dans le club suisse du Servette Genève. Il joue sous le maillot vert pendant encore cinq ans : 217 matchs où il empile 85 buts au total. Il finit sa carrière à Bastia (1968-1970).
Il est champion de France en 1967 puis en 1968. L’année du doublé puisque l’AS Saint-Etienne remporte la Coupe de France, son « plus beau titre ». En finale, il inscrit deux buts qui permettent aux Verts de battre Bordeaux (2-1). Au moment de lui remettre la coupe, le président de Gaulle lui lance : « La France, c’est vous ! »