Dossier de la rédaction : quelle a été l'efficacité des mesures prises par le gouvernement sur le pouvoir d'achat ?

Publié : 28 juin 2022 à 10h13 par Nicolas Georgeault

Dans la continuité des mesures comme le bouclier tarifaire ou la remise sur le carburant le gouvernement devrait dévoiler une loi sur le pouvoir d’achat. Elle devra notamment faire face à l’inflation record depuis le milieu des années 1980.

Une inflation galopante 

L’inflation a connu une véritable hausse en 2022 avec notamment un bond de 5,2% en mai par rapport à l’année précédente après une première augmentation sur l'année 2021 de 1,6% selon l’INSEE. Ces chiffres se traduisent par une véritable hausse des prix notamment alimentaire (+15,31% sur les pâtes, +11,34% pour les viandes surgelées selon le rapport de l’IRI) mais aussi de l’énergie.

Le prix à la pompe connait une augmentation régulière depuis plusieurs années. En novembre 2018, l’augmentation du Diesel de 23% en un an avait déjà déclenché le mouvement des gilets jaunes. Le prix est alors de 1,48 euros le litre contre environ 2,10 euros aujourd’hui, un montant qui prend en compte la remise de 18 centimes par litre faites par le gouvernement. Uniquement sur le mois écoulé, le carburant a connu une hausse de vingt centimes le litre.

Les répercussions de la guerre en Ukraine dont « il n’est pas exclu que les conséquences soient assez durables et que le temps que nous autres occidentaux nous reconstruisions un appareil productif qui soit capable d’assurer une forme de souveraineté, une forme d’indépendance dans certains secteurs, on doivent tirer la langue quelques années avec des niveaux d’inflation assez élevés » explique Alban Verchère, enseignant-chercheur à l’école d’économie de Saint-Etienne.

Notre reportage sur les conséquences de la guerre en Ukraine sur le pouvoir d’achat en France :

En cause notamment, la dépendance à l’énergie russe, deuxième exportateur producteur de pétrole au monde et premier producteur de gaz. Pour assécher les ressources russes, l’Union Européenne a pris la décision « d'un embargo total sur l'ensemble du pétrole russe, livré par voie maritime ou via des oléoducs, brut ou raffiné » expliquait alors Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission européenne début mai. Le prix du baril de pétrole a ainsi connu une augmentation régulière depuis mi-février. Le baril coûte environ 91 dollars il y a quatre mois avant de grimper à environ 105 dollars début mai, jusqu’à dépasser les 119 dollars aujourd’hui.

Les mesures mises en place par le gouvernement pour lutter contre l’inflation

A la mi-février, la guerre en Ukraine débute et les cours du pétrole explosent. Entre la première et la deuxième semaine de mars, le litre de gazole augmente de 14 centimes le litre, du jamais vu. Début avril, le gouvernement français réagit et met en place une ristourne de 18 centimes par litre pour tous les automobilistes. Le coût total est de trois milliard pour l’Etat, même si une partie de cette dépense pourrait être amorti. La hausse du coût du carburant fait mécaniquement augmenter les recettes de l’Etat grâce à la TVA (aucun chiffre sur les gains potentiels n’est toutefois communiqué à ce sujet).

A la station essence Dyneff à Saint-Etienne les automobilistes se montrent alors mitigé : « ce n’est pas assez » témoigne à notre micro cette Stéphanoise tandis qu’un autre assure que des remises de « 40, 50 centimes » sont nécessaires pour que le changement soit vraiment significatif. Des initiatives locales voient le jour en parallèle, comme la remise de 50 euros pour aider les travailleurs les plus démunis à Roche-La-Molière.

Cette même guerre en Ukraine provoque le 16 février, l’extension du bouclier tarifaire. Cet instrument fige les tarifs réglementés de vente du gaz à leur niveau d’octobre 2021. Mais le gouvernement décide de l’étendre à cinq millions de foyers supplémentaires. Selon la Commission de régulation de l’énergie les prix auraient progressé de 66,5 % entre octobre 2021 et février 2022 sans cet outil économique.

le 1er février, le gouvernement limite la hausse du prix de l’électricité à 4 % (au lieu de 44,5%). Sans cette limitation l’électricité auraient augmenté de 35,4 % début février. Le ministre de l’économie Bruno Le Maire promet au moment de son instauration qu’il « n’y aura pas de rattrapage conduisant à une nouvelle hausse l’an prochain. Ce sont l’Etat et EDF qui supporteront le coût de cette mesure. » 

Quatre mois plus tard, fin mai, le CSE (Comité social et économique) d'EDF alerte que le groupe « ne passera pas l'année ». La dette de l’électricien pourrait exploser, passant de 43 milliards d’euros fin 2021 à 60 milliards un an plus tard en raison de sa contribution au bouclier tarifaire. Un risque dont la conséquence se fera directement sur les ménages puisque les gros fournisseurs devrait mettre en place un rattrapage de 8% dans les prochains mois.

Ces différentes mesures ont-elles été efficaces ?

Cet ensemble de mesure mises en place par le gouvernement depuis quelques mois « ciblent » les Français qui en ont le plus besoin décrypte Alban Verchère. Ils doivent « permettre aux plus fragilisées de passer cette période, même si ce n’est pas suffisant dans certains cas. Quand on vous donne 50, 100 ou 200 euros... Sur une année ça ne change pas la vie non plus ».

Alban Verchère décrypte les mesures mises en place par le gouvernement :

Sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le pouvoir d'achat par unité de consommation a grimpé de 0,9 % par an, soit un gain d’environ 300 euros par an selon une étude de l'OFCE. Le pouvoir d’achat des 10% des ménages les plus modestes aurait grimpé de l'ordre de 5,3%, contre 3,5% pour les plus aisés et 7% pour les classes moyennes. L’organisme économique établie toutefois une baisse sur l’année 2022 de l’ordre de 0,8%. Depuis le début de la guerre en Ukraine « au niveau du traitement du litige il y a quand même une baisse significative [...] donc ça veut dire qu’il y a une consommation moindre » note Elisabeth Bruyasser, la responsable de l’UFC que Choisir dans la Loire. Plus de la moitié de la population française (57%) a en tout cas le sentiment que son pouvoir d’achat a diminué depuis 2017.

Malgré ces mesures dont l’efficacité à vocation à être à court terme et « sachant que l’inflation nourri l’inflation » la question des salaires « se pose » selon Alban Verchère. « Si vous voyez les prix augmenter, augmenter, augmenter, à partir d’un certain moment, naturellement les salariés demandent des hausses de salaire. Il y a le risque de rentrer dans une boucle inflation-salaire avec un phénomène de stagflation que l’on a connu dans les années 1970-80 avec un ralentissement de la croissance et une hausse des prix qui alimente une hausse des salaires qui elle-même alimente une hausse des prix etc. » analyse-t-il.

Alban Verchère explique ce qu'est la stagflation :

Une loi pouvoir d’achat pour des mesures « plus pérennes »

Le projet devait être présenté en Conseil de Ministres le 29 juin sur le pouvoir d’achat. Le gouvernement doit soumettre « dans la foulée » la loi au Parlement explique la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, dans une interview accordée au Parisien.

 L’objectif est de « continuer à contenir cette flambée des prix de l'énergie » a expliqué la Première ministre Elisabeth Borne. Le gouvernement compte reprendre plusieurs mesures déjà en place comme le bouclier tarifaire qui bloque le prix du gaz et limite la hausse de l’électricité à 4%. Le gouvernement veut reprendre la remise de 18 centimes par litre de carburant mais en la ciblant mieux et avec une efficacité sur le long terme : « le problème de la ristourne de 18 centimes […], c’est qu’elle profite à tout le monde quel que soit son niveau de revenu [...] avoir une aide plus significative et plus ciblée, il me semble que c'est plus juste et plus efficace » a expliqué le ministre de l’Economie Bruno le Maire au micro de France Info.

Instauré en 2019, la prime Macron est une gratification défiscalisée dont peuvent faire bénéficier les employeurs à certains de leurs salariés. En 2021, près de quatre millions de personnes en ont bénéficiés pour un montant moyen de 506 euros par prime, presque deux fois moins que le plafond de 1 000 euros. Avec la nouvelle loi sur le pouvoir d’achat, cette prime devrait être triplée. Elle concerne les salariés dont les revenus sont au moins trois inférieurs au SMIC, soit un peu moins de 4800 euros par an. Leurs employeurs devraient désormais pouvoir leur verser une prime de 3000 euros par an sans aucune charge supplémentaire. Un montant qui pourrait grimper jusqu’à 6000 euros pour les sociétés de moins de 50 salariés ou les entreprises qui ont signé un accord d'intéressement.

Emmanuel Macron affiche aussi la volonté d’avoir une retraite de minimum 1 100 euros par mois contre 980 euros aujourd’hui ainsi qu’un RSA conditionné à un minimum d'activité, une formation de 20 heures par mois est notamment évoquée.

L’une des mesures phares devaient être les chèques alimentaires. Depuis plus de deux ans Emmanuel Macron annonce cette mesure, finalement reportée à 2023. L’Etat proposerait une indemnité inflation à la place. Une mesure inclue dans le projet de loi sur le pouvoir d’achat. Si les contours de cette disposition restent flous, une aide de 100 à 150 euros a été évoquée en faveur des ménages les plus modestes.

La loi pouvoir d’achat comprendrait également une promesse de campagne. La redevance audiovisuelle serait supprimée. L’ensemble des foyers disposant d’un téléviseur doivent payer 138 euros par an (88 euros en Outre-mer). Cet argent permettait de financer les médias de service public.

L'intégralité de notre entretien avec l'économiste Alban Verchère sur le pouvoir d'achat réalisé le 5 mai 2022 :